El arte de la conversación, 1950 – Rene Magritte
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Deux hommes en conversation. Petits. Insignifiants. Dans leur dos, un énorme monument, aux montants gigantesques avec dalles en tous sens, dont les pierres entassées ne laissent guère d’espace qui puisse être utilisé. Les deux hommes continuent à parler. Parler! C’est d’avoir parlé qu’il reste partout des constructions, des constructions embarrassantes, inutiles, devenues énormes, cyclopéennes, de plus en plus inutiles, sans emploi, par l’adjonction de nouvelles paroles, de nouveaux parleurs… qui toujours laissent des restes. Et devant un de ces vastes monuments aux grandes pierres entremêlées où il n’y a même pas une pièce où l’on pourrait se tenir, où l’on ne passe plus, les deux hommes, sans tourner la tête, sans y faire attention, s’entretiennent, les inconscients!
A mesure qu’ils discourent, ne pourraient-ils voir les encombrants additifs qui vont encore prendre du peu de place qui reste? Non, il y faut du temps. Ce sont d’autres qui le verront, qui plus tard, parlant aussi, viendront passer devant le monument agrandi, de plus en plus massif, de plus en plus inutilisable.
C’est pour avoir tellement parlé et écrit qu’il y a de par le monde tant de restes qui, avec leur sérieux «déplacé» ont une résistance de pierre à tout ce qu’on aurait besoin de faire de véritablement nouveau. De ces confuses pierres, un silence sort, un empêchement, pierres pour entraver l’esprit, pour entraver la marche, pour entraver l’avenir. Pierres! Républiques de Paroles.
Mais peut-être ces deux hommes ont-ils eu le besoin de se sentir évoluer sur un fond important, archéologique? L’humain -en somme- c’est leur groupe.
Henri Michaux, extrait de «En rêvant à partir de peintures énigmatiques».